Suivez-nous dans cette visite d’une épicerie où nous verrons, de l’intérieur, le travail des personnes autistes et les adaptations qui peuvent être mises en place rendant ce milieu de travail plus inclusif. Douze employés d’une épicerie IGA ont été filmés effectuant 21 tâches (préparation de pizza, placement des produits, etc.) dans 7 départements (fruits et légumes, prêt-à-manger, etc.).

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Résumé

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Citer cet article
Dumont Frédéric, Vincent Claude et al (2023), « Le travail des personnes autistes en épicerie », éds. François Routhier et Pierre Faser, in Sociologie Visuelle, vol. 3, n° 3, Québec : Éditions Photo|Société.

Présentation du projet

Aller à l’épicerie, c’est presque banal ! On ne s’en rend pas toujours compte, mais cet endroit représente une version à petite échelle de son quartier et jusqu’à un certain point de la société. La nourriture représente les goûts des consommateurs du quartier et il s’agit d’un lieu commun où des personnes provenant de toutes les couches de la société, de toutes origines culturelles et de tous les métiers peuvent se côtoyer. C’est un endroit qui se doit d’être accueillant pour tout le monde, d’être inclusif, parce qu’il répond à un besoin essentiel (se nourrir!). Comme la pandémie l’a montré, les employés du secteur de l’alimentation ont travaillé plus que jamais, et comme partout ailleurs, on y retrouve une pénurie de main-d’œuvre. Ainsi, l’épicerie sera toujours nécessaire et elle a en plus le potentiel d’être un milieu inclusif pour les personnes en situation de handicap1.

Nous savons que les personnes autistes sont sous-représentées sur le marché du travail. En effet, des études menées aux États-Unis et au Royaume-Uni démontrent qu’entre 14% et 33% de ces personnes ont un emploi rémunéré, ce qui serait comparable avec la situation au Québec selon Valérie Martin, pour le compte du Réseau national d’expertise en trouble du spectre de l’autisme (RNETSA)2-3-4-5. Pour accroître la présence des personnes autistes sur le marché du travail, nous pensons qu’une  meilleure préparation des milieux qui les accueillent et une information plus tangible sur le travail à accomplir pour les personnes autistes font partie de la solution. Pour ce faire, nous avons développé des vidéos pédagogiques présentant 21 tâches en épicerie, provenant de 7 départements différents (fruits et légumes, pâtisserie et boulangerie, prêt-à-manger, poissonnerie, charcuterie/fromagerie, les allées et les caisses).

Notre partenaire pour ce projet est l’épicerie IGA et, dans le cadre d’une subvention du Centre des compétences futures du Canada, nous avons filmé des vidéos dans un de leurs magasins en 2021. Nous avons ensuite procédé au montage de 42 capsules (21 destinées aux personnes autistes et 21 destinées à leurs mentors) et à la formulation de différentes questions accompagnant les vidéos. Pour les personnes autistes, ces vidéos démontrent la réalité du travail en épicerie et la complexité des tâches demandées tout en relevant les différents stimuli rencontrés et les façons de les atténuer. Les questions qui suivent les capsules aident les personnes autistes à identifier les choses qui pourraient les déranger dans ce qu’ils ont vu et servent à repérer celles qui les intéressent le plus. 

Pour les mentors, les vidéos contiennent de l’information sur les caractéristiques de l’autisme qui pourraient affecter la réalisation de chacune des 21 tâches sélectionnées tout en recommandant des outils ou des stratégies pour répondre aux difficultés éventuelles.

Les vidéos et les questions ont fait l’objet de différentes phases de validation. Une première validation fut réalisée par l’équipe de recherche composée de cinq chercheuses ayant une expertise pertinente sur le sujet. Puis, une seconde a été faite par une gestionnaire d’un organisme communautaire de formation à l’emploi et par deux personnes autistes en formation dans cet organisme. Finalement, elles ont été révisées par deux intervenantes d’un autre organisme communautaire qui accompagne les adultes autistes et leur famille dans l’importante transition que constitue le passage à la vie adulte. Par le visionnement des vidéos, une personne peut se rendre compte à quelle point l’expérience vécue par une personne autiste en épicerie diffère d’une personne neurotypique.

Beaucoup d’efforts sont déployés par les épiceries afin de présenter leurs produits. Les départements sont placés dans un ordre particulier tout comme les produits dans les rayons. L’expérience client est aussi planifiée, mais peut varier d’un magasin à l’autre. Pour plusieurs, faire l’épicerie reste habituellement une expérience agréable. Par contre, il faut se rappeler que les épiceries ont été conçues pour plaire à une population majoritairement neurotypique. Imaginons que nous nous retrouvons dans une épicerie d’un autre pays, qu’il y ait plus de stimulation dans le magasin (p. ex. panneaux lumineux, des sons cacophoniques et des odeurs fortes et inhabituelles) et qu’il y ait, en plus, beaucoup de gens. Nous serions plusieurs à trouver notre expérience moins agréable. C’est le type d’obstacles que les personnes autistes peuvent rencontrer au quotidien, autant lorsqu’elles magasinent à l’épicerie que lorsqu’elles y travaillent. Nous vous proposons de vivre cette expérience en faisant le tour d’une épicerie par le regard d’une personne autiste. Écrit en collaboration avec une personne autiste qui a travaillé en épicerie, nous serons plus à même de comprendre leur point de vue et celui des personnes autistes qui y travaillent.

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Visite à l’épicerie à travers
le regard d’une personne autiste

Familiarisation à la préparation des ananas

Écrire le nom d’un client sur un gâteau d’anniversaire

Familiarisation à la cuisson des croissants

Dans cette même section du magasin, on retrouve des espaces de travail plus à l’abri du bruit pour le prêt-à-manger. Sur un comptoir, deux employées s’affairent à la préparation de divers menus (jambon à l’ananas, sandwichs et pizzas). L’une d’elles ne suit pas de recette. C’est une employée qui semble plus expérimentée, mais sa collègue Émilie a la même expérience, et pourtant, elle suit une recette imagée.

Préparation d’un jambon à l’ananas

Préparation de sandwichs

Un cartable avec toutes les recettes imagées est disponible pour tous les employés, mais Émilie est la seule à toujours l’avoir près d’elle lorsqu’elle cuisine. C’est simplement parce qu’elle s’en sert comme aide-mémoire. Un rapide coup d’œil vers ces images et les flèches lui permettent de se rappeler la prochaine étape et les mesures précises des différents ingrédients. Ça lui demande tout simplement moins d’énergie à la fin de la journée et la rend plus productive. La voilà qui a terminé de préparer des pizzas et qui se dirige vers la balance étiqueteuse qui pèse et imprime l’étiquette avec le prix. Émilie colle cette étiquette sur l’emballage de la pizza. Une liste imagée est disponible à côté de la machine pour identifier plus rapidement le code du produit à entrer.

Préparation de pizzas

Préparation de la salade de goberge
Cuisson et préparation des homards

Emballage des filets de saumon

Préparation des tournedos de saumon

placer les produits

Familiarisation du service aux clients dans le secteur de la charcuterie

Je continue mon parcours dans l’épicerie vers les allées où je croise à nouveau l’employé qui portait des coquilles insonorisantes. Il amène un chariot dans une allée. Le chariot est bruyant et il vibre par moments ce qui n’est pas plaisant. Il se dépêche alors d’arriver à sa destination afin de remplir les tablettes avec les produits de son chariot. Il regarde alors une photo plastifiée qui est accrochée à son chariot et qui représente le résultat attendu.

Remplir les tablettes

De plus, pour l’aider dans cette tâche, les produits qui vont sur les étagères du haut sont sur le devant de son chariot. Il peut donc se fier à ce classement et à l’image pour repérer rapidement l’endroit pour y placer les produits. Il est très méthodique et place les nouveaux produits derrière afin de créer une rotation.

Aligner les produits

Quand je prends les produits dont j’ai besoin, je replace les produits qui suivent pour ne pas défaire la présentation. Je n’aime pas non plus quand les gens laissent des produits n’importe où dans l’épicerie. J’ai donc tendance à les ramasser et les remettre à un employé ou à la caisse. Je vois maintenant l’employé qui est arrêté pour aligner les produits et bien les positionner. Avant de commencer, il ajuste bien ses coquilles insonorisantes sur sa tête. Comme vous pourrez le constater dans la vidéo (à partir de 1:55), le bruit des sachets de pâtes peut rapidement devenir dérangeant. C’est une tâche répétitive dont il s’acquitte avec précision et persévérance.

Lorsque je passe à la caisse, je place mes articles par catégorie sur le tapis. J’ai toujours à peu près la même méthode. C’est un passage que je n’aime pas lorsqu’il y a beaucoup de monde, car parfois c’est assez coincé et nous sommes trop près les uns des autres. Je n’aime pas sentir les odeurs des gens, ni devoir les frôler. Je suis polie et souriante, mais depuis quelques années j’ai arrêté de regarder dans les yeux lorsque je vais dans les magasins, car je me suis rendu compte que ça me demandait beaucoup d’énergie alors je ne le fais plus systématiquement. On entend parfois dire qu’on ne retrouvera pas de personnes autistes à la caisse parce qu’il y a trop d’interaction avec les clients. C’est faux, c’est une question d’approche, car elles ont toutes les capacités pour le faire. Comme toujours, il faut miser sur leurs forces et avoir confiance en leur potentiel.

Familiarisation avec le service à la clientèle

Dans le magasin dans lequel nous nous trouvons, toute personne autiste est amenée à essayer d’opérer la caisse au moins une fois avec son mentor (ici la directrice adjointe). On peut considérer le travail à la caisse comme une procédure dont on peut apprendre toutes les étapes par cœur. En tant que clients, nous connaissons nous-mêmes les questions qu’on nous posera. « Avez-vous vos sacs », « Avez-vous la carte de points », etc. Ce n’est donc pas une si grande surprise d’en voir performer certains à ce poste. 

L’emballage à la caisse

Il y aura certainement, comme dans la vidéo, plus de questions inattendues à la caisse de la part des clients qu’ailleurs en magasin. Le travail du mentor et de l’employé est d’anticiper les questions les plus communes et trouver les réponses adéquates à retenir. Pour toutes les questions inattendues, il reste l’option de référer le client à l’employé qui sera le plus en mesure de répondre à la question. C’est sensiblement la même situation avec l’emballage à la caisse. Ainsi, les mêmes principes de formation s’appliquent. De plus, aux caisses, il y a toujours un ou une collègue tout près en cas de questionnement.

conclusion

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