Le capacitisme, à l’échelle de la société, repose sur l’idée qu’une personne handicapée est moins capable qu’une personne valide, que sa vie même a moins de valeur. Il établit une hiérarchie entre les corps et les esprits selon leurs capacités supposées. La norme corporelle et mentale qu’il instaure dévalorise les personnes qui ont des incapacités.
Résumé
Qu’est-ce que le capacitisme? Selon le collectif handi-féministe Les Dévalideuses, « c’est l’ensemble des préjugés et comportements discriminatoires à l’encontre des personnes porteuses d’un handicap, visible ou invisible. Le [capacitisme], à l’échelle de la société, repose sur l’idée qu’une personne handicapée est moins capable qu’une personne valide, que sa vie même a moins de valeur1». Il établit une hiérarchie entre les corps et les esprits selon leurs capacités supposées. La norme corporelle et mentale qu’il instaure dévalorise les personnes qui ont des incapacités. À l’instar du racisme ou du sexisme, auxquels il est lié, c’est une forme d’oppression systémique séculaire dont la portée reste considérable dans la société québécoise. Nous verrons concrètement dans ce texte comment les préjugés et le maintien ou la création d’obstacles contribuent à la discrimination, la stigmatisation et l’exclusion sociale des personnes handicapées.
TABLE DES MATIÈRES
Introduction
Selon la Société de transport de Montréal (STM), la station de métro De l’Église, dans l’arrondissement de Verdun, ne deviendra pas accessible en fauteuil roulant avant 20282. Mise en service en 1978 avec le prolongement de la ligne verte jusqu’au terminus Angrignon, elle aura alors cinquante ans. Par une singulière coïncidence, c’est en 1978 que l’Assemblée nationale a modifié la Charte des droits et libertés de la personne pour interdire la discrimination fondée sur le handicap3. La même année, il a été accordé aux personnes handicapées un nouveau « droit à la reconnaissance et à l’exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne4 » et ouvert simultanément des stations qui maintenaient la discrimination introduite à l’inauguration du métro, en 1966. Il aura fallu un demi-siècle pour que la station De l’Église soit enfin conforme à la charte.
Ce bâtiment emblématique de Verdun est un véritable monument à ce qui, à l’époque, ne portait pas encore le nom de capacitisme. À vrai dire, c’est aussi le cas des autres stations construites sans ascenseurs, et notamment de celles qui ont vu le jour dans les années 1980 sur les lignes orange et bleue. Théoriquement, les vingt-cinq stations aménagées après l’entrée en vigueur des modifications de la charte (au cours de la décennie suivant le prolongement de la ligne verte) auraient dû être conçues selon les principes de l’accessibilité universelle. Elles représentaient quand même 38,4 % du réseau de soixante-cinq stations existant en 1988. Or ce n’est qu’en 2007, lors du prolongement de la ligne orange à Laval, que les trois premières stations accessibles ont ouvert leurs portes. Au moment d’écrire ces lignes (janvier 2023), vingt-deux autres stations avaient été rendues accessibles, ce qui ne représentait toujours que 36,7 % du réseau. Et il en restait quarante-trois à adapter.
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TABLE DES MATIÈRES
- Introduction
- Une loi discriminatoire
- Encore des escaliers
- Ségrégation institutionnalisée
- Et maintenant ?
- Conclusion
2 Séance du conseil d’administration du 7 septembre 2022 : (1:37:45).
3 Loi assurant l’exercice des droits des personnes handicapées, 1978, c. 7, art. 112 (ci-après, la « loi de 1978 »).
4 Wikipedia, « Liste des stations du métro de Montréal ».
Une loi discriminatoire
Que s’est-il passé? La loi de 1978 prévoyait des dérogations à la charte qui interdisaient aux personnes handicapées d’alléguer discrimination pour inaccessibilité des bâtiments construits avant 1976 (donc non assujettis au Code de construction du Québec adopté cette année-là) et des moyens de transport collectif5. Ces dérogations n’ont été abrogées qu’en 2004, soit un quart de siècle après l’entrée en vigueur de la loi de 19786. Pendant ce temps, les transports en commun et les bâtiments ont pu demeurer légalement inaccessibles aux personnes handicapées.
En octroyant le droit à la pleine égalité aux personnes handicapées, la loi de 1978 garantissait l’égalité d’accès, mais elle donnait en même temps au gouvernement le pouvoir de passer outre à ce droit, notamment s’il estimait que le coût des modifications ne justifiait pas d’assurer l’accessibilité d’un immeuble à ces personnes7. En 1978, l’Assemblée nationale a donc apporté un « bémol » [sic] au nouveau droit des personnes handicapées. Cette « restriction des possibilités de recours en vertu de la Charte des droits et libertés » aurait été le fruit d’un compromis « avec les différents milieux », « en corollaire de l’obligation des propriétaires d’immeubles ». On en déduit que le lobby des propriétaires a été entendu même si l’article 70 a « été vivement critiqué par certains […] à l’époque8 ». Le bémol apporté aux obligations des organismes de transport en commun est tout aussi révoltant9. En 2004, le gouvernement a fini par reconnaître « qu’on ne peut justifier de maintenir ces articles-là » (c’est-à-dire les dérogations)10.
Toutes ces restrictions des droits ont perpétué jusqu’à aujourd’hui des pratiques et une mentalité ségrégationnistes. Si toutes les stations de métro des années 1980 ont pu être mises en service légalement malgré la charte, il n’est pas étonnant que d’autres structures discriminatoires aient continué d’apparaître dans le paysage. Comme nous le verrons, il se pratique encore une architecture inaccessible malgré le fait que l’interdiction de la discrimination est désormais pleinement en vigueur.
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TABLE DES MATIÈRES
- Introduction
- Une loi discriminatoire
- Encore des escaliers
- Ségrégation institutionnalisée
- Et maintenant ?
- Conclusion
5 Loi de 1978, art. 71 et 72.
6 Loi modifiant la Loi assurant l’exercice des droits des personnes handicapées et d’autres dispositions législatives, 2004, c. 31, art. 49.
7 Loi de 1978, art. 70.
8 Assemblée nationale, Journal des débats de la Commission permanente des affaires sociales, le jeudi 2 décembre 2004, Vol. 38 N° 88, Étude détaillée du projet de loi n° 56 — Loi modifiant la Loi assurant l’exercice des droits des personnes handicapées et d’autres dispositions législatives (3).
9 Paradoxalement, le ministre responsable avait déclaré ceci en déposant son projet de loi, en 1978 : « Dorénavant, avec l’adoption d’un tel projet de loi, le transport des personnes handicapées sera assumé par les mécanismes normaux utilisés pour le transport de toute la population. » Assemblée nationale, Journal des débats, troisième session — 31e législature, le jeudi 1er juin 1978, vol. 20, no 42.
10 Assemblée nationale, Journal des débats de la Commission permanente des affaires sociales, le jeudi 2 décembre 2004, op. cit.
Belvédère du parc-nature
du Bois-de-L’Île-Bizard

Grand escalier de la Place Ville-Marie

Mezzanine du biodôme

Encore des escaliers
Parmi les monuments remarquables qui ont été récemment érigés à la gloire du capacitisme, il convient de mentionner le belvédère du parc de l’Île-Bizard (2020), le Biodôme (2020) et le grand escalier de la Place Ville-Marie (2022). Le belvédère n’est qu’un assemblage totalement inaccessible de plateformes et d’escaliers11. Aux personnes qui visitent le Biodôme, entièrement rénové, on propose un parcours partiellement accessible : tandis que les personnes handicapées doivent se contenter d’un ascenseur clos pour accéder à la mezzanine, les personnes non handicapées peuvent s’y rendre en empruntant une jolie passerelle surélevée qui traverse la cime des arbres sous la verrière12. Le grand escalier de la Place Ville-Marie, quant à lui, est bien muni d’une rampe conçue pour être empruntée en fauteuil roulant, mais elle est tout sauf sécuritaire.
Il faut aussi mentionner un projet à venir de la Ville de Montréal qui, s’il est réalisé conformément aux esquisses publiées, deviendra un énième monument au capacitisme montréalais. Il s’agit d’Espace Rivière, bâtiment faisant office de bibliothèque municipale et de centre communautaire qui verra le jour dans l’arrondissement Rivière-des-Prairies—Pointe-aux-Tremble d’ici quelques années. Comme le Biodôme, Espace Rivière serait traversé par une passerelle interne réservée aux personnes qui n’éprouvent aucune difficulté à gravir des escaliers et inaccessible pour les personnes à mobilité réduite13. Ailleurs au Québec, l’escalier du sentier des Grands-Domaines sur le promontoire de Sillery est digne de mention14-15.
Compte tenu de l’énorme retard accumulé en matière d’accessibilité du réseau ordinaire, la vie de très nombreuses personnes à mobilité réduite reste soumise aux aléas et aux rigidités du transport adapté de la STM. L’accès au métro, encore en grande partie interdit, parce que l’État en a décidé ainsi en 1978, aurait donné aux personnes capables de se déplacer seules l’autonomie dont elles étaient en droit de jouir à titre de citoyennes. Or les autorités ont sciemment maintenu la nature d’espace ségrégationniste du métro. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre la création du service spécial (ségrégué) de transport adapté au début des années 80 : le refus implicite de faire du métro un espace inclusif (le transport adapté répond évidemment à des besoins que le métro ne saurait combler)16.
La pente à remonter pour rendre accessibles les espaces commerciaux situés dans le cadre bâti antérieur (et même postérieur) à 1976 est, elle, plus vertigineuse que jamais. Les quartiers à échelle humaine que l’on vante tant n’offrent pas la même qualité de vie selon qu’on est ou non en mesure de pénétrer dans les commerces et restaurants qui bordent leurs artères et d’y recevoir les mêmes services que le reste de la population (conformément à la charte). En effet, outre la discrimination instaurée par la loi de 1978, le Code de construction prévoit des exceptions pour les bâtiments de petit gabarit, en vertu desquelles les exigences d’accessibilité ne s’appliquent pas aux innombrables bâtisses qui longent les rues commerciales, ce qui compromet la mise en accessibilité d’une part considérable de nos villes. Cette réglementation-là relève des municipalités, qui traînent les pieds depuis longtemps.
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TABLE DES MATIÈRES
- Introduction
- Une loi discriminatoire
- Encore des escaliers
- Ségrégation institutionnalisée
- Et maintenant ?
- Conclusion
11 Voir les explications peu convaincantes (44:55) et les plates excuses fournies par les responsables devant la Commission des finances et de l’administration de la Ville de Montréal le 23 novembre 2020.
12 Davantage d’explications vaseuses (01:41:55) sont fournies par les responsables, sans aucune excuse, devant la même commission le 24 novembre 2020.
13 Design Montréal, Conception d’Espace Rivière dans le quartier de Rivière-des-Prairies, Concours d’architecture pluridisciplinaire, 8 décembre 2022.
14 Renaud, Philippe (2022, 6 juin), « En photos | Le sentier de la charcotte de Sillery bientôt prêt », Le Devoir.
15 Lachaussée, Catherine (2022, 21 octobre), Le sentier des Grands-Domaines-de-Sillery accessible avant son ouverture officielle, Radio-Canada.
16 Parent, Laurence (2010), Je me souviens: The Hegemony of Stairs in the Montréal Metro, mémoire de maîtrise, York University, Toronto.
Du chemin à parcourir en matière d’accessibilité universelle à Montréal
Subvention pour l’accessibilité
universelle aux commerces
Ce programme d’aide aux commerçants contribue directement à rendre les bâtiments accessibles de manière universelle. Toute personne, quelles que soient ses capacités, peut ainsi utiliser les services offerts dans le commerce de façon autonome.

Conçu pour favoriser une meilleure qualité de vie pour l’ensemble des citoyennes et des citoyens de l’agglomération montréalaise, le programme d’aide à l’accessibilité aux commerces (PAAC) permet aux commerces éligibles d’actualiser le cadre bâti de leur établissement qui répondait aux normes de conception sans obstacles du Code de construction du Québec (Code ) ou de la réglementation en vigueur au moment de sa construction ou après avoir subi une transformation, mais qui ne répond plus aux normes de conception sans obstacles et à la réglementation applicable actuellement.
Ségrégation institutionnalisée
La loi de 1978 et le Code de construction sont à l’origine de cette discrimination qu’on peut qualifier à juste titre de systémique, puisque, en l’occurrence, elle a été instaurée et maintenue par l’État. C’est la preuve, s’il en fallait, du rôle prééminent que joue la politique dans la construction du handicap, car dans presque tous les cas de figure, le handicap est un choix politique : le choix de la majorité non handicapée (plus petite qu’on ne le croit) d’ignorer les besoins légitimes de la minorité handicapée sur la base de préjugés qui la dévalorisent, et de prendre soin de ses seuls intérêts en brandissant la norme sociale du corps non handicapé. C’est en choisissant de créer des obstacles handicapants ou de ne pas les supprimer qu’on met les corps et les esprits « non conformes » en situation de handicap, qu’on les relègue à un statut de seconde zone, celui de personne handicapée. Ce processus de construction est d’autant plus difficile à saisir et semble d’autant plus éloigné du sens commun que le capacitisme l’invisibilise en naturalisant le handicap sur la base des différences fonctionnelles, qui en seraient la véritable cause, abstraction faite de l’environnement physique et sociopolitique.
Par ailleurs, la dérogation prévue par la loi de 1978 pour coût des modifications « injustifiable » est révélatrice des fondements capitalistes du capacitisme, notre système économique accordant davantage d’importance aux profits à l’argent qu’aux personnes. Cette mentalité règne aussi bien dans le secteur privé qu’au sein des administrations publiques. Dans ce contexte, tous les moyens sont bons pour maintenir les privilèges, même les moyens franchement incompatibles avec la décence humaine. Entre, dans cette catégorie, la décision de déclarer en quelque sorte nulle et non avenue, pour tout un pan de la société, une disposition essentielle de la loi suprême du Québec. La force d’inertie que produit le capacitisme est telle que la nouvelle obligation de non-discrimination n’a pas pesé très lourd dans la balance : malgré cette mesure progressiste, le statu quo a immédiatement repris ses droits.
Les conséquences catastrophiques de la loi de 1978 et du Code de construction se font encore sentir. Le gouvernement ayant malencontreusement montré le mauvais exemple, on ne s’étonne plus de la réticence quasi générale à appliquer les principes de l’accessibilité universelle ni de la méconnaissance des dispositions en vigueur. Pire, en adoptant des dérogations et une réglementation discriminatoires, il a repoussé de plusieurs décennies la mise en accessibilité des infrastructures publiques et privées au Québec. Au lieu d’assurer l’exercice des droits des personnes handicapées, il en a garanti le non-respect. Ou plutôt, il a confirmé l’absence de droit, pour ces personnes, de vivre en pleine égalité. Il a normalisé la ségrégation en codifiant le « droit » coutumier de les discriminer, comme si la discrimination était dans l’ordre naturel des choses. Il a accrédité l’idée que la mise en accessibilité est un fardeau financier déraisonnable. Il a cimenté le statut de citoyennes de seconde zone des personnes handicapées. Les monuments au capacitisme sont là pour en témoigner.
Loi modifiant la Loi assurant l’exercice des droits des personnes handicapées
Et maintenant ?
Pour transformer le Québec en société inclusive qui fait de l’équité une valeur cardinale, il n’est pas réaliste de s’en remettre à une supposée amélioration « naturelle » de l’accessibilité qui serait dictée par les lois du marché17. Cette position attentiste ne profite jamais qu’aux intérêts des lobbys en reportant le respect des droits aux calendes grecques. Attendre que chaque entreprise privée fasse des efforts de manière volontaire est la recette de l’échec. Il serait tout aussi futile de compter sur les modifications épisodiques du Code de construction, qui se produisent beaucoup trop lentement elles aussi18.
Sur le terrain, on constate que beaucoup d’individus sont ouverts au changement, voire déterminés à améliorer le quotidien des personnes handicapées. Mais leur bonne volonté se heurte souvent aux obstacles systémiques que nous avons évoqués. Que faire? Il faut garantir dès maintenant les droits fondamentaux au moyen d’une loi sur l’accessibilité universelle assortie de cibles contraignantes et de pénalités dissuasives ainsi que d’un cadre réglementaire efficace et de solides mécanismes de mise en œuvre, comme il en existe dans d’autres provinces et pays, dont l’Ontario, le Manitoba, le Canada au palier fédéral et les États-Unis. Sans quoi on pourra difficilement lutter contre la discrimination. Or aucune loi n’est actuellement sur la table à Québec. Le règlement sur les catégories d’immeubles construits avant 1976 à rendre accessibles et les normes d’accessibilité à respecter, dont l’adoption était prévue par la Loi assurant l’exercice des droits des personnes handicapées en vue de leur intégration scolaire, professionnelle et sociale, n’a jamais vu le jour19. Les autorités semblent surtout miser sur des solutions ponctuelles qui prennent la forme d’aides financières pour améliorer l’accessibilité des bâtiments. Ces programmes bureaucratiques sont sous-financés et peu performants20. Le respect des droits des gens demeure donc tributaire du bon vouloir des propriétaires et des locataires, qui ont toute latitude pour maintenir la ségrégation interdite. Les interminables procédures de traitement des plaintes déposées devant la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse n’aboutissent jamais qu’à des règlements au cas par cas, alors qu’il est nécessaire d’opérer des changements systémiques radicaux21. L’émancipation de tout un groupe social marginalisé depuis la nuit des temps exige davantage que quelques accommodements occasionnels.
Heureusement, ce tableau immobiliste n’est pas complètement sombre. On a vu ci-dessus que la STM augmente graduellement le nombre de stations de métro accessibles (avec les maigres subsides que lui consentent les gouvernements). Il faut accélérer la cadence. Par ailleurs, la Ville de Montréal a entrepris la révision de son propre règlement de construction22. Il s’agit d’une initiative à saluer et à suivre de près pour s’assurer qu’elle se traduira par un resserrement important des obligations d’accessibilité. Les municipalités n’ont pas à s’en tenir au strict minimum prévu par un Code de construction timide et désuet. Bien qu’il soit peu probable que les pouvoirs publics mettent à nouveau un odieux bémol aux droits fondamentaux des personnes handicapées, la vigilance sera de mise lors des consultations. Mais l’accessibilité architecturale n’est qu’une partie de l’équation.
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TABLE DES MATIÈRES
- Introduction
- Une loi discriminatoire
- Encore des escaliers
- Ségrégation institutionnalisée
- Et maintenant ?
- Conclusion
17 Régie du bâtiment du Québec, Pour une meilleure accessibilité. Rapport du ministre du travail sur l’accessibilité aux personnes handicapées de bâtiments à caractère public construits avant décembre 1976, 2006.
18 Régie du bâtiment du Québec, Entrée en vigueur du nouveau chapitre Bâtiment du Code de construction, 17 janvier 2022.
19 Loi assurant l’exercice des droits des personnes handicapées en vue de leur intégration scolaire, professionnelle et sociale, 2004, c. 31, a. 1, art. 69.
20 Ainsi, le Programme d’aide à l’accessibilité des commerces (PAAC) de Montréal n’a reçu, au cours de sa première année, que onze demandes de subventions, dont sept ont été accueillies, pour un total de 50 586,75 $ (Ville de Montréal, Bilan de l’an 1 du Programme d’aide à l’accessibilité des commerces (PAAC), période d’avril 2017 à avril 2018). Ce programme avait un budget initial de 1,6 million. En novembre 2022, le solde était de 700 000 $ malgré la hausse de la subvention de 10 000 $ à 15 000 $. La Ville a confirmé qu’il n’y a pas de demande pour cette subvention (communication privée). Le programme équivalent dans le reste de la province, Petits établissements accessibles, disposait de 300 000 $ en 2019-2020 (Société d’habitation du Québec, Demandes de renseignements particuliers de l’opposition officielle, Commission de l’aménagement du territoire, étude des crédits 2020-2021, août 2020).
21 Il est révélateur que la plupart des dossiers concernent le motif de discrimination interdit « handicap » (38 %). Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, Rapport d’activités et de gestion 2021-2020.
22 Cabinet de la mairesse et du comité exécutif, « Modifications du règlement 11-018 pour l’accessibilité universelle », 13 juin 2022 (correspondance privée).
À cet égard, rappelons qu’en 2021, la Ville de Montréal a ajouté dans la Charte montréalaise des droits et responsabilités l’engagement à lutter contre le capacitisme. Les groupes de défense des droits des personnes handicapées vont-ils se sentir moins seuls dans leur combat acharné pour la dignité? Il ne reste plus à la Ville qu’à passer de la parole aux actes. Selon un récent diagnostic organisationnel, elle n’en est cependant qu’au niveau de la « prise de conscience » pour ce qui est de l’intégration de l’accessibilité universelle dans ses façons de faire23.
Le gouvernement du Québec doit lui aussi faire passer les droits humains des personnes handicapées au premier plan afin qu’elles jouissent enfin de la pleine égalité. Pour cela, il doit dépasser les politiques qui s’en tiennent à des généralités24. Il doit cesser de nous ignorer, prendre au sérieux la Convention relative aux droits des personnes handicapées, faire respecter la Charte des droits et libertés de la personne et légiférer en conséquence. Il est possible de garantir la participation sociale, économique et politique du plus grand nombre en tournant le dos une fois pour toutes aux pratiques oppressives qui favorisent le handicap et l’exclusion.
23 Raymond Chabot Grant Thornton, Diagnostic organisationnel de l’intégration de l’accessibilité universelle à la Ville de Montréal, présentation sommaire, décembre 2022.
24 Office des personnes handicapées du Québec, À part entière : pour un véritable exercice du droit à l’égalité. Politique gouvernementale pour accroître la participation sociale des personnes handicapées, 2009.
Conclusion
L’État québécois a été et continue d’être un des principaux acteurs de la vaste entreprise de construction du handicap entamée il y a plusieurs décennies au Québec. La loi de 1978 était une arme à double tranchant qui a laissé de profondes séquelles systémiques. L’exemple venait de haut, et les villes ne sont pas en reste en matière de promotion de l’exclusion, ainsi que le secteur privé. Des monuments au capacitisme continuent de se matérialiser ou menacent de sortir de terre. Le Québec a commencé à se constituer il y a bien longtemps une grosse collection de ces monuments qu’il est contreproductif de persister à enrichir.
L’urgence réside dans la lutte concertée contre l’oppression que constitue le handicap pour donner à tou·te·s davantage de liberté, d’autonomie et de contrôle sur leur existence. Nous avons vu que des solutions existent pour garantir le droit à l’accessibilité qui découle de la Charte. Il faut maintenant légiférer et financer adéquatement la transition vers l’inclusion. Il est temps de faire des choix politiques en faveur des droits de la personne et du bien commun. Il est plus que temps de changer de direction et de s’atteler résolument à la construction d’une société équitable, inclusive et, surtout, anticapacitiste.
© Jérôme Saunier, 2023
Articles de cette série documentaire
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