Au printemps 2021, la Ligue des droits et libertés (LDL) a publié un dossier spécial sur les droits des personnes en situation de handicap dans sa revue Droits et Libertés. Pour plusieurs militant-e-s de la LDL, ce fut une occasion extraordinaire d’approfondir cette question et d’alimenter leurs réflexions grâce aux excellentes contributions de plusieurs intervenant-e-s doté-e-s d’une expertise sur le sujet.

Texte d’Elisabeth Dupuis et Laurence Guénette, largement inspiré du texte de Christian Nadeau, tous trois de la Ligue des droits et libertés.

Résumé

La Ligue des droits et libertés (LDL) est une organisation indépendante, non partisane et à but non lucratif, qui œuvre depuis maintenant 60 ans à la promotion et à la défense collective de tous les droits humains, civils, politiques, économiques, sociaux et culturels. Au printemps 2021, la Ligue des droits et libertés (LDL) a publié un dossier spécial sur les droits des personnes en situation de handicap dans sa revue Droits et Libertés. Pour plusieurs militant-e-s de la LDL, ce fut une occasion extraordinaire d’approfondir cette question et d’alimenter leurs réflexions grâce aux excellentes contributions de plusieurs intervenant-e-s doté-e-s d’une expertise sur le sujet. Le texte que nous proposons ici est donc un apport offert en toute humilité et largement alimenté par les écrits parus dans la revue de 2021, par lequel nous souhaitons mettre en lumière la portée et les bénéfices d’un regard de droits humains sur la réalité des personnes en situation de handicap.

Table des matièreS

Citer cet article

Guénette Louise, Dupuis Élisabeth (2023), « Réalités des personnes en situation de handicap : poser un regard de droits humains », éds. François Routhier et Pierre Faser, in Sociologie Visuelle, vol. 3, n° 3, Québec : Éditions Photo|Société.

En droit international et en droit interne : instruments imparfaits, mais précieux

Poser un regard de droits humains permet de mobiliser les instruments développés en droit international ou interne qui, malgré certaines lacunes ou obstacles, constituent un puissant levier argumentaire. Le Québec et le Canada ont des devoirs et obligations inscrits dans des lois, des Chartes et des Conventions, qui devraient toujours guider les gouvernements dans l’élaboration de politiques ou de législations, même si ce n’est pas toujours le cas. Le rôle que peuvent jouer les instruments internationaux des droits humains est considérable pour faire respecter les droits humains. Il s’agit d’outils essentiels qui énoncent des principes incontournables et permettent de juger de la conformité des législations et de rappeler les gouvernements à l’ordre.

En ce sens, la Convention relative aux droits des personnes handicapées (CDPH) a été adoptée en 2008 par l’Assemblée générale des Nations Unies, regroupant les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels dans un même texte ainsi que des dispositions pratiques inédites en droit international des droits de la personne. Le Canada l’a ratifiée en 2010, suivie du Protocole facultatif à la CDPH, un système de plaintes auquel le Québec s’est déclaré lié1.  Des dispositions spécifiques pour favoriser l’exercice de leurs droits dans des conditions d’égalité avec les autres sont inscrites. Parmi elles figurent le droit de ne pas être soumis à l’exploitation, à la violence et à la maltraitance (article 16), la nécessité d’éliminer les obstacles à l’accessibilité aux bâtiments, aux transports, aux communications et aux services (article 9) et la participation à la vie politique, exigeant que les États veillent à ce que les procédures, équipements et matériels électoraux soient appropriés, accessibles et faciles à comprendre et à utiliser (article 29). La Convention affirme également le droit de « vivre dans la société avec la même liberté de choix que les autres personnes », ce qui engage les États à mettre en place des « mesures efficaces et appropriées pour faciliter aux personnes handicapées la pleine jouissance de ce droit ainsi que leur pleine intégration et participation à la société » (article 19).

En vertu de la CDPH, le gouvernement est tenu d’adopter des politiques économique, budgétaire et fiscale qui permettent à chaque personne d’accéder « à un niveau de vie adéquat pour elles-mêmes et pour leur famille, notamment une alimentation, un habillement et un logement adéquats, et à une amélioration constante de leurs conditions de vie et prennent des mesures appropriées pour protéger et promouvoir l’exercice de ce droit sans discrimination fondée sur le handicap. » (article 28)

Il existe un exercice de rapportage lié à l’adhésion du Canada à cette convention, impliquant que le Canada soumette des rapports au Comité des personnes handicapées, l’organe de suivi de la mise en œuvre de la CDPH. Le processus d’examen comprend la production d’un rapport critique alternatif, rédigé par des organisations de la société civile et communautaires pour donner suite au rapport fourni par l’État. L’analyse des rapports du Canada par ces organisations amènera au cours des prochains mois et années un éclairage essentiel sur les problèmes vécus et proposera des pistes de solutions pour faire avancer les droits des personnes en situation de handicap.

Pour permettre aux personnes en situation de handicap d’exercer pleinement leurs droits, un énorme travail reste à faire pour renforcer le cadre législatif actuel en intégrant les dispositions de la CPDH dans nos lois au Québec et au Canada.  Des critiques se font entendre sur les lacunes importantes de la Loi assurant l’exercice des droits des personnes handicapées adoptée en 1978 et amendée en 2004 : « aucun objectif ou échéancier pour l’élimination des obstacles, aucune pénalité en cas de non-conformité. Par conséquent, ses dispositions sont souvent bafouées et la mise en accessibilité progresse à pas de tortue2 ».

Et même lorsque de nouvelles lois sont mises en place, améliorant la protection des droits des personnes en situation de handicap, la prudence et le sens critique sont de mise. De nouvelles normes au Code de construction du Québec pour l’intérieur des logements ont été adoptées en 2018 et, bien qu’elles soient dorénavant plus complètes, elles ne s’appliquent que sur une base volontaire. « Les seules normes d’accessibilité obligatoire pour les nouveaux bâtiments visent à permettre à une personne en fauteuil roulant de visiter le logement, mais pas d’y habiter3 », souligne Olivier Dupuis. Autre exemple : les bâtiments de moins de neuf logements ou de moins de trois étages sont exemptés de toute norme d’accessibilité, alors qu’un logement répondant aux besoins de ses locataires est à la base d’une vie autonome4.

Cela étant dit, la perspective des droits humains va au-delà des textes disponibles sur les plans national ou international, faisant figure d’instruments contraignants ou simples énoncés de principe.

Table des matièreS

1 Mona Paré (2021), « La CDPH : des efforts du Canada depuis près de 20 ans », in Droits et libertés, vol. 40, n° 1.

2 Bénard Mélanie (2021), « Le cadre législatif concernant les droits des personnes handicapées et l’accessibilité universelle », in Droits et libertés, vol. 40, n° 1.

3 Dupuis Olivier (2021), « La crise permanente du logement accessible », in Droits et libertés, vol. 40, n° 1.

4Idem.

Une analyse puissante et porteuse : l’interdépendance des droits humains

La LDL n’a de cesse d’insister sur l’interdépendance des droits humains, notamment, une perspective qui invite à constater et agir en tenant compte que lorsqu’un droit est bafoué, cela entraîne des conséquences sur plusieurs autres droits. Inversement, lorsqu’on parvient à réaliser pleinement un droit, cela peut améliorer le respect de plusieurs autres droits pour les communautés concernées.

Cette interdépendance des droits est visiblement au cœur de la réalité des personnes en situation de handicap. « Qu’il s’agisse de scolarisation, d’emploi et de revenu, de logement, bref, de l’ensemble des droits sociaux, ou encore des droits et libertés civiles, comme l’accès à l’espace public, les personnes en situation de handicap sont confrontées chaque jour à des difficultés voire à des dénis de leurs droits » explique Christian Nadeau, militant de la LDL, dans le dossier spécial de la revue Droits et Libertés5.

Certaines perspectives devenues incontournables dans les dernières années se juxtaposent de façon tout à fait cohérente avec une approche de droits humains et une reconnaissance de l’interdépendance des droits. Notamment, si les personnes en situation de handicap subissent autant de dénis de leurs droits humains, de façon répétée, systématique et interdépendante, c’est qu’elles évoluent au cœur d’un système capacitiste, qu’elles sont nombreuses à dénoncer et à combattre depuis des années. Le capacitisme est basé sur des croyances, des stéréotypes, des processus et des pratiques qui déterminent si une personne est capable de se conformer aux normes. Le capacitisme « façonne notre monde et crée le handicap » (Nadeau). Au même titre que d’autres rapports oppressifs tels que le racisme ou le patriarcat, le capacitisme dévoile une terrible réalité tout en étant un concept précieux car il permet de saisir le caractère systémique des discriminations, dénis de droits et processus d’exclusion et de marginalisation vécus par les personnes en situation de handicap. Il en va de même avec cette expression, personne en situation de handicap, qui invite à reconnaître que l’obstacle à la réalisation des droits humains d’une personne se trouve non pas dans la personne elle-même, mais « dans le contexte social qui la prive des ressources auxquelles elle aurait droit pour réaliser ses choix et orienter sa vie comme bon lui semble. » (Nadeau).

De rappeler ainsi le contexte systémique entraînant des violations de droits permet d’une part de rappeler aux États leurs responsabilités dans le respect, la protection et la mise en œuvre des droits humains. D’autre part, cela permet de contester la vision selon laquelle les mesures prises pour favoriser l’accessibilité universelles sont des gestes d’aide, d’altruisme ou de charité… alors qu’on parle de droits humains!

Au même titre que d’autres groupes marginalisés subissant de nombreux dénis de droits et évoluant au cœur d’un système d’oppression, les personnes en situation de handicap subissent les effets des grandes crises de façon exacerbée. La pandémie de COVID-19 a engendré des difficultés et un isolement accru pour celles-ci. Alors que des mesures drastiques étaient mises en place précipitamment pour affronter la crise qui sévissait, les personnes en situation de handicap ont été bien souvent laissées à elles-mêmes, certaines ressources essentielles comme les répits, les écoles ou les soins adaptés étant suspendues, comme si elles avaient été oubliées. Plusieurs de leurs droits ont été mis à mal, alors que « toute règle de droit, toute politique ou toute pratique d’une autorité gouvernementale ou autre qui aurait pour effet de donner un accès limité à l’exercice d’un droit en raison du statut de la personne ne peut trouver aucune justification du point de vue des droits humains6 ».

La crise climatique n’échappe pas à ce constat, contribuant aussi à exacerber les inégalités et dénis de droits humains déjà existants. Un rapport du Haut-commissariat des droits de l’homme des Nations Unies révélait en 2020 que « la pauvreté, la stigmatisation et la discrimination étaient les trois principaux éléments exposant les personnes handicapées aux impacts des changements climatiques7 ». À l’échelle de la planète, on constate déjà qu’elles subissent des impacts accrus sur leur droit à la santé, leur droit à l’alimentation, leur droit au logement et leur droit à un niveau de vie suffisant, notamment.

La façon dont les grandes crises affectent les personnes en situation de handicap de manière disproportionnée rappellent une autre dimension incontournable depuis une perspective de droits humains : ces personnes doivent avoir la possibilité de participer pleinement aux prises de décisions. Si elles tendent à être invisibilisées par le capacitisme en tant que système et par les multiples obstacles à l’accessibilité universelle, cela ne justifie en rien que les autorités gouvernementales fassent l’économie de prendre en compte leurs opinions, leurs réalités et bien entendu, leurs droits, dans toute décision. La possibilité de participer aux décisions et à la vie politique au sens large concerne également plusieurs droits humains, et constitue une clé dans la recherche de solutions inclusives face aux grandes crises tout comme en tant que « normal ».

D’ailleurs le rapport cité plus haut souligne que « parce qu’elles sont touchées de manière disproportionnée par les changements climatiques, les personnes handicapées doivent être incluses dans l’action climatique. Leur participation permettrait d’adapter l’action climatique de sorte qu’elle traite les préoccupations propres aux personnes handicapées en lien avec les effets néfastes des changements climatiques8 ». À titre d’exemple, les mesures d’urgence prises à la suite de l’ouragan Sandy aux États-Unis en 2012, telles que les véhicules d’évacuation ou les abris proposés aux personnes sinistrées, bafouaient les droits des personnes en situation de handicap. Cela dit, leur participation est essentielle dans l’ensemble des décisions prises en lien avec les mesures d’atténuation et d’adaptation aux changements climatiques, en plus des mesures prises en situation de crise ponctuelle. Pourtant, à l’heure actuelle, le plan d’adaptation aux changements climatiques du Canada reconnaît les défis des peuples autochtones et des femmes, mais demeure silencieux quant aux réalités des personnes en situation de handicap.

Table des matièreS

5 Nadeau, Christian (2021), « Droits et handicap : introduction au dossier », in Droits et libertés, vol. 40, n° 1.

6 Nicole Filion (2014 | 7 octobre), Allocution lors du lancement de la campagne « Travailleuses et travailleurs migrants : pas des marchandises ! ».

7 Conseil des droits de l’Homme (2020), « Étude analytique sur la promotion et la protection des droits des personnes handicapées dans le contexte des changements climatiques », 44ème session.

8 Idem.

Conclusion

Les luttes pour le respect de tous les droits des personnes en situation de handicap, des enjeux d’accès au logement aux enjeux de pauvreté, en passant par les obstacles empêchant de participer pleinement à la société, gagnent ainsi à être analysés et abordés à la lumière des droits humains. Les États doivent veiller à respecter, protéger et mettre en œuvre les droits humains de tous et toutes pour vivre dans une société juste et inclusive. Cela signifie de prendre en considération ces droits à l’heure d’ébaucher toute politique ou législation susceptible de les affecter, tout en reconnaissant l’interdépendance des droits.

Comme le rappelle Christian Nadeau, cette interdépendance des droits appelle forcément à une interdépendance des luttes : « le respect des droits des personnes en situation de handicap n’est pas quelque chose qui est donné par la majorité à une minorité. C’est la société tout entière qui se doit cela à elle-même. (…) Dans une société juste, combattre le capacitisme est en fin de compte lutter pour le respect de l’intégrité des droits dans leur ensemble9 ».

Table des matièreS

9 Nadeau, Christian (2021), « Droits et handicap : introduction au dossier », in Droits et libertés, vol. 40, n° 1.

Bibliographie

1 Mona Paré (2021), « La CDPH : des efforts du Canada depuis près de 20 ans », in Droits et libertés, vol. 40, n° 1.

2 Bénard Mélanie (2021), « Le cadre législatif concernant les droits des personnes handicapées et l’accessibilité universelle », in Droits et libertés, vol. 40, n° 1.

3 Dupuis Olivier (2021), « La crise permanente du logement accessible », in Droits et libertés, vol. 40, n° 1.

4 Idem.

5 Nadeau, Christian (2021), « Droits et handicap : introduction au dossier », in Droits et libertés, vol. 40, n° 1.

6 Nicole Filion (2014 | 7 octobre), Allocution lors du lancement de la campagne « Travailleuses et travailleurs migrants : pas des marchandises ! ».

7 Conseil des droits de l’Homme (2020), « Étude analytique sur la promotion et la protection des droits des personnes handicapées dans le contexte des changements climatiques », 44ème session, 2020, URL : https://www.ohchr.org/fr/stories/2020/07/persons-disabilities-disproportionately-affected-climate-change.

8 Idem.

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