Saisir l’instant du passé

L’église Saint-Louis, nichée sur les rives du fleuve Saint-Laurent, est un symbole de l’âme québécoise, de sa profondeur, de sa complexité, de sa richesse. Elle est l’expression d’un peuple, d’une histoire, d’une foi, d’une identité.

© Pierre Fraser, 2018

Observation

Ce qui m’a toujours intrigué à propos de la pratique photographique, c’est qu’elle permet de plonger dans un passé toujours présent, c’est-à-dire que certains éléments du paysage datent d’une certaine époque, alors que d’autres éléments dans leur entourage se modifient ou s’ajoutent avec le temps. Autrement dit, la photographie permet d’encapsuler le passé en fournissant une image concrète et visuelle de moments passés, en préservant la mémoire, en transmettant l’histoire, en évoquant des émotions et en perpétuant l’héritage culturel. Par exemple, l’église Saint-Louis, nichée sur les rives du fleuve Saint-Laurent, est un symbole de l’âme québécoise, de sa profondeur, de sa complexité, de sa richesse. Elle est l’expression d’un peuple, d’une histoire, d’une foi, d’une identité.

Cette photo, prise un 4 septembre 2018 à l’Île-aux-coudres, cadre l’église Saint-Louis construite en 1885 tout au centre de la photo, alors que sur la gauche, une école à l’architecture typique des années 1950, occupe l’espace, et sur la droite, des maisons unifamiliales également à l’architecture typique des années 1950 se présentent. Au pied de la photo, un aménagement touristique rappelant le passé maritime de l’île et permettant d’avoir une vue sur la petite baie. De là, on peut dire que la photographie permet de transmettre des informations sur le passé et aide à raconter une histoire à propos d’événements historiques, de mouvements sociaux, de changements dans les paysages urbains ou naturels, etc.

Photo du jour

Une forêt de bâtiments, dense et compacte

Ces bâtiments sont aussi une manifestation physique de la hiérarchie économique et sociale qui existe dans notre société. Et pourtant, malgré leur séparation physique, ces bâtiments sont tous interconnectés, formant une toile complexe de relations sociales et économiques qui ne…

Dans la lumière du soleil, le béton

La lumière du soleil se jouait des aspérités rugueuses du béton, comme autant de petits jeux de miroirs. Elle se reflétait avec une étrange intensité, éblouissante et pourtant apaisante. Les ombres et les angles du bâtiment de verre semblaient dessiner…

Chutes de la Chaudière, saisir l’eau et l’horizon

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Le pouvoir de l’image

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Une forêt de bâtiments, dense et compacte

Ces bâtiments sont aussi une manifestation physique de la hiérarchie économique et sociale qui existe dans notre société. Et pourtant, malgré leur séparation physique, ces bâtiments sont tous interconnectés, formant une toile complexe de relations sociales et économiques qui ne peut être ignorée.

ces bâtiments sont tous interconnectés, formant une toile complexe de relations sociales et économiques qui ne peut être ignorée.

De la basse-ville de Québec, les bâtiments se dressent comme autant de tours dans un paysage urbain dense. On peut y voir une véritable forêt d’édifices représentant un monde à part entière. Mais en regardant plus attentivement, on se rend compte que ces bâtiments, plus que de simples simplement des structures inertes et inanimées, ne sont pas simplement des constructions physiques : ils racontent aussi une histoire de la stratification sociale, constituent une toile complexe de relations sociales et économiques. Chacun de ceux-ci abrite des individus et des organisations qui interagissent entre eux, créant ainsi des liens économiques, sociaux et culturels entre les différentes couches de la société. En outre, ces bâtiments témoignent de l’histoire de la ville, de ses changements économiques et de ses transformations sociales. Les immeubles anciens ont souvent été réaménagés et rénovés pour s’adapter aux besoins de la société actuelle, tandis que les nouveaux bâtiments reflètent les tendances architecturales contemporaines et les nouvelles technologies.

Dans l’ensemble, la toile complexe de relations sociales et économiques tissée par ces bâtiments ne peut être ignorée. Elle est une manifestation tangible de la vie sociale, économique et culturelle de la ville de Québec et de la société dans son ensemble.

© Pierre Fraser (PhD, sociologue), texte et photo – 2020
Photo : Depuis la Gare du Palais de Québec, 20 mai 2018

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Le télétravail et ses repères visuels

Si l’ergonomie fait référence à la manière dont le bureau à domicile et le mobilier à installer sont conçus afin de garantir la santé physique et mentale des personnes, réduisant ainsi les risques et les blessures possibles, il va sans dire que la première étape…

Quand la soupe devient une expérience d’achat

Les produits Leader Price vendus au Québec , à moins que le consommateur québécois ne le sache pas, sont des produits d’entrée de gamme en France. D’ailleurs, Leader Price se positionne comme « une enseigne où l’on peut concilier prix bas et plaisir » et c’est « le…

L’huile d’olive comme produit de distinction sociale ?

L’huile d’olive, par seule mise en marché à travers son marketing, signale l’accomplissement d’actions ou suggérant l’opportunité d’actions. Si le statut social peut influencer l’alimentation de différentes façons, le niveau de revenu et l’accès aux ressources financières peuvent également affecter les choix alimentaires des individus.…

La faim a-t-elle un visage ?

Au Québec, en date de novembre 2022, 1 citoyen sur 4 éprouvait non seulement de la difficulté à s’alimenter sainement, mais éprouvait surtout de la difficulté à acheter des aliments afin de combler un besoin aussi élémentaire que celui de se nourrir. La vidéo de…

Franges visuelles

Définition Une frange visuelle prend généralement la forme d’un terrain en friche ou d’un bâtiment à l’abandon. Ses limites sont à la fois précises et imprécises. Précises, dans le sens où elles sont géographiquement circonscrites. Imprécises, dans le sens où elles ne sont pas tout…

Dans la lumière du soleil, le béton

La lumière du soleil se jouait des aspérités rugueuses du béton, comme autant de petits jeux de miroirs. Elle se reflétait avec une étrange intensité, éblouissante et pourtant apaisante. Les ombres et les angles du bâtiment de verre semblaient dessiner une partition de lumière sur les fenêtres du palais de justice, comme si chaque courbe et chaque ligne avaient été pensées pour révéler la beauté de ce rayonnement.

La lumière du soleil se jouait des aspérités rugueuses du béton

La lumière du soleil se jouait des aspérités rugueuses du béton, comme autant de petits jeux de miroirs. Elle se reflétait avec une étrange intensité, éblouissante et pourtant apaisante. Les ombres et les angles du bâtiment de verre semblaient dessiner une partition de lumière sur les fenêtres du palais de justice, comme si chaque courbe et chaque ligne avaient été pensées pour révéler la beauté de ce rayonnement. On aurait dit que le béton, loin de s’opposer à la lumière, se laissait habiller de sa clarté, la magnifiant à chaque instant. Les reflets chatoyants donnaient l’impression que le bâtiment vibrait d’une vie nouvelle, empreinte de poésie et de mystère. On pouvait se perdre des heures à contempler ce spectacle fascinant d’un matin de printemps, à la fois éphémère et éternel, qui semblait nous inviter à la contemplation et à la rêverie. Dans cette lumière rugueuse si particulière, le béton se révélait être bien plus qu’un simple matériau de construction : il était devenu une œuvre d’art à part entière, une invitation à la contemplation du monde moderne.

© Pierre Fraser (PhD, sociologue), texte et photo – 2020
Photo : Palais de justice de Québec, 20 mai 2018

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Saisir l’instant du passé

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Sirène aux abords du fleuve Saint-Laurent Art en contexte, sculpture intégrée dans son milieu, immensité du fleuve Saint-Laurent, l’Île-aux-coudres réserve des joyaux visuels à qui sait les repérer. Cette sirène, à gauche de la photo, installée sur un terrain privé longeant le Chemin de la…

Sur un déambulateur

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Chutes de la Chaudière, saisir l’eau et l’horizon

La photographie est un moyen de capturer et de partager la beauté du monde qui nous entoure. Les photographies esthétiques peuvent montrer des paysages à couper le souffle, des moments uniques et inoubliables, des détails artistiques, des motifs visuels, etc.

La photographie est un moyen de capturer et de partager la beauté du monde qui nous entoure

Au bas de la chute, l’esprit se perd dans un tourbillon de sensations. L’eau qui tombe et se brise contre les rochers, la vapeur qui s’élève en nuages mouvants, l’odeur de l’humidité et de la vie végétale. Là où se marie l’horizon du ciel et de l’eau qui coule, l’œil ne peut s’empêcher de se perdre dans la profondeur de l’infini.

Le regard se fixe sur la chute d’eau, capturé par sa danse éternelle. Il suit le flux et reflux de l’eau, sa chute libre, sa rencontre avec les rochers en contrebas. Et puis, il se lève, porté par la perspective infinie de l’horizon. Le ciel s’étend devant lui, immense et ouvert, un appel vers l’inconnu.

C’est un endroit où les éléments se rencontrent, où le temps et l’espace se confondent. L’eau et le ciel, le mouvement et l’immobilité, la chute et l’élévation. Ici, les opposés se complètent, se fondent en une seule et même expérience.

La perception se transforme, se métamorphose en quelque chose de plus profond. L’œil voit, mais l’esprit perçoit. Il est saisi par l’énergie brute de la nature, par la beauté pure de la création. Le temps s’arrête, la réalité se dissout, et le monde extérieur s’efface dans une étreinte avec le divin.

C’est à cet endroit, au bas de la chute, que l’on peut toucher du doigt l’éternité. C’est là que l’on peut se connecter avec le cosmos, avec l’univers qui nous entoure. C’est là que l’on peut goûter la véritable essence de la vie.

© Pierre Fraser (PhD), sociologue / texte et image, 2018

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Le chien assis à la table

SOCIOLOGIE VISUELLE au bistro un dimanche matin Et c’est là où le chien assis à la table permet de mettre en image une situation sociale contrastée où la mixité sociale devient de plus en plus conflictuelle. Pour rappel, une situation sociale contrastée, dans le monde…

Cachez cette pauvreté…

Des « hordes en haillons » à l’assaut des bonnes gens. Si Louis-H. Campagna, citoyen engagé de Québec, parlait d’« un vieux rêve issue de vieilles idées, une palissade immobilière érigée afin de défendre les bonnes et honnêtes gens du Vieux-Port et du Vieux-Québec contre les hordes en…

Selfie en mode touriste

© Olivier Moisan-Dufour, 2016

À Québec, chaque année, l’industrie du tourisme amène plusieurs groupes en provenance de différents pays. Les touristes asiatiques, bardés d’appareils photographiques de toutes sortes, se démarquent tout particulièrement, et les touristes japonais ne sont pas en reste. Non seulement les voit-on prendre de grandes quantités de photos, mais il est aussi intéressant de constater à quel point ils s’investissent dans le selfie. C’est donc ce phénomène que l’artiste Olivier Moisan-Dufour a voulu montrer à travers cette séquence de photos prises dans les environs de la Terrasse Dufferin attenante au Château Frontenac situé dans le Vieux-Québec.

Comme la photographie fait inévitablement partie d’un voyage, qu’elle le documente en quelque sorte, Olivier a tenté de mettre en exergue les attitudes et les postures du corps du touriste dans sa quête de la « bonne » photo qui enrichira à souhait les souvenirs personnels et familiaux. Et sa position, à ce sujet, va comme suit : « la photographie permet de documenter un voyage, et elle le fait sur le mode de la différenciation par rapport à la culture d’origine du touriste. Elle montre les différences culturelles, en précise le pittoresque ainsi que son côté singulier et spécial, souligne les différences architecturales, saisit la nature dans tout ce qu’elle a de dissemblable, de distinct, d’original et de particulier. » Avec les appareils numériques, de plus en plus performants et de plus en plus accessibles, il faut se rendre à une évidence : le monde est actuellement de plus en plus visuellement documenté.

Et ce monde visuellement documenté agit aussi comme soi en toile de fond. Si le touriste d’avant le téléphone intelligent ne se mettait pas lui-même en scène, voilà que ce dernier rend désormais possible le fait de s’incruster soi-même dans la trame visuelle d’une autre société. Tout ceci n’est pas anodin, car c’est aussi une nouvelle façon d’exister en montrant à son cercle d’amis, dans l’instantané, à travers les réseaux sociaux que l’on fait aussi quelque chose de passionnant de sa vie.

Partant de là, il devient possible d’accéder par procuration à la vie de certaines personnes à travers les images qu’elles ont publiées, nous donnant ainsi accès à leur niveau de popularité quantifié en mentions « J’aime ». D’ailleurs, la photographie de gauche et celle ci-dessous rendent bien compte de ce phénomène. Elles sont la démonstration éclatante du double selfie, c’est-à-dire photographier celle qui prend un selfie (la touriste de gauche) tout en se voyant soi-même (la touriste de droite) dans le téléphone intelligent de la touriste de gauche. C’est l’ultime selfie, l’ultime représentation de soi-même, se tenir par la main dans une position quelque peu inconfortable pour photographier celle qui prend un selfie afin d’avoir un effet de contre-plongée de soi-même.

© Photo : Olivier Moisan-Dufour, 2016
© Texte : Olivier Moisan-Dufour et Pierre Fraser, 2022

En attente d’une bordée de neige aux abords du fleuve

Comme tous les objets culturels, les photographies tirent leur signification de leur contexte. «Même les peintures ou les sculptures, qui semblent exister de manière isolée, accrochées au mur d’un musée, tirent leur signification d’un contexte composé de ce qui a été écrit à leur sujet, soit dans l’étiquette accrochée à côté d’elles, soit ailleurs, d’autres objets visuels, physiquement présents ou simplement présents dans la conscience de ceux qui regardent, et des discussions qui se déroulent autour d’elles et du sujet sur lequel portent les œuvres. Si nous pensons qu’il n’y a pas de contexte, cela signifie seulement que l’auteur de l’œuvre a intelligemment profité de notre volonté de fournir le contexte par nous-mêmes1

Que représente pour vous cette photo ? Un ancien moyen de transport que l’on attelait à un cheval en hiver ? Un artefact décoratif issu du milieu rural ? Peu importe la réponse, la signification donnée à cette photo est intimement liée aux connaissances historiques que l’on peut avoir à propos d’une époque révolue et de la fonction de cet objet.

En fait, une photo, quelle qu’elle soit, est une construction iconique, ce qui signifie qu’elle est invariablement une représentation encadrée de quelque chose de significatif que quelqu’un a créé dans un but précis à un moment donné. Ainsi, non seulement les photos ont une histoire et un sens, mais elles ont aussi souvent une carrière, voyageant d’un contexte à un autre, avec des significations radicalement différentes qui leur sont attribuées en cours de route au fil du temps.

© Texte : Pierre Fraser (PhD), 2022
© Photo : Pierre Fraser (8 octobre 2017), Isle-aux-Coudres (Charlevoix, Québec),
    derrière le «Motel écumé par la mer».

[1] Becker, Howard S. (1995) «Visual sociology, documentary photography, and photojournalism: It’s (almost) all a matter of context», Visual Studies, vol. 10, n° 1, p. 5.

Le pouvoir de l’image

Le visuel prédomine

Gymnase urbain (© Pierre Fraser, 2018)
Première confirmation (© Marie-Paule Léveillée, collection privée, 1938)
La dimension cachée des plateformes de partage

Citer cet article
Vignaux, G., Fraser, P. (2021). « Le visuel est partout ». Revue de Sociologie Visuelle : Territoires visuels, vol. 1, n°1 , p. 19-22. ISBN : 978-2-923690-6-2.

Dans un contexte où l’image est partout, où l’image prédomine, il y a là toute une dimension visuelle et sociale qui est mise en action et qui conditionne nos vies. Le simple panneau routier et le feu de circulation régissent nos déplacements. L’architecture structure nos espaces de vie et nos relations sociales. Le panneau-réclame et la publicité communiquent des façons d’être et de consommer. Dans un contexte technologique où chacun est en mesure de produire et de diffuser des images à partir de son téléphone intelligent, où la consommation d’images est inévitable, la sociologie visuelle propose de mobiliser la production d’images, fixes ou animées, pour rendre compte des différentes réalités sociales qui travaillent et traversent la société.

En fait, les images dépeignent des réalités sociales que ne peuvent montrer les mots et les chiffres, d’où la nécessité de les mobiliser pour saisir toutes les subtilités de la réalité sociale. En arts visuels et médiatiques, l’image et le message encapsulent des valeurs sociales, d’où l’idée de les décoder, socialement parlant. En géographie, les innombrables repères visuels disséminés partout sur le territoire circonscrivent un territoire social invisible, sous-jacent, en épaisseur, qui se superpose au territoire géographique, d’où des repères, des parcours, des franges et des réseaux visuels qui régissent la vie sociale dans son ensemble. En architecture, le bâtiment, à travers ses aménagements, structure la nature même du lien social dans des parcours visuels précis, définit les conditions de l’espace de vie, d’où l’importance de le traduire en images pour en saisir la portée sociale.

Si on part de l’idée que l’image doit être pensée comme un texte, c’est-à-dire des tissus capables de former des ensembles de significations dont il est possible de décrire le fonctionnement et les effets induits, le lecteur sera amené à traiter l’image comme un modèle efficace d’expression, de communication, de monstration et de démonstration, un outil qui rassemble les trois principes fondamentaux d’une analyse : la description, la recherche des contextes, l’interprétation.

Si le pouvoir de l’image dépasse parfois celui des mots, et si l’image met le citoyen en contact avec des réalités qu’il ne verrait pas autrement, alors la sociologie visuelle doit donc s’appuyer sur des concepts théoriques qui lui sont propres pour parvenir à rendre compte autrement de ce que la sociologie théorique ou quantitative fait déjà avec rigueur et efficacité. Autrement dit, si la sociologie visuelle veut rendre compte de la façon la plus adéquate possible des réalités sociales par l’image, elle ne doit en rien sacrifier à la rigueur de la méthode scientifique. Et c’est justement ici qu’intervient notre proposition de territoire visuel, car nous pensons qu’elle dispose d’un certain potentiel pour parvenir à traiter le social à travers l’image.

En cliquant sur chacune des images de gauche, j’invite le lecteur à entrer dans le potentiel qu’offre la sociologie visuelle. Qu’il s’agisse de l’image, fixe ou animée, tout un monde de possibilités d’analyse à caractère sociologique se dévoile et montre à quel point l’image est un puissant outil de mise en relief de différentes réalités sociales.

La jeune femme chic

Stratification sociale

L’homme aux vêtements usés et élimés (© Pierre Fraser, 2017)
La jeune femme chic (© Pierre Fraser, 2016)

Le statut socio-économique d’une personne se reflète non seulement dans des indices subtils tels que certains mouvements du corps lorsqu’elle est en relation avec d’autres personnes, mais aussi dans le fait que les inégalités sociales sont reproduites par le corps d’où l’idée que « le corps social fait du corps individuel la courroie de réception, de transmission et de transformation de son ordre symbolique [où] le corps individuel est toujours engendré par l’information à partir de laquelle le corps est socialement construit et reconnu. C’est cette information qui soutient, de façon synchronique, une vision particulière du corps social et du corps individuel1. »

Référence de cet article

[1] St-Jean, M. (2010), Métamorphose de la représentation sociale du corps dans la société occidentale contemporaine, Thèse de doctorat, UQAM, URL: https://archipel.uqam.ca/3756/1/D1938.pdf.

Citer cet article
Vignaux, G. (2021). « La restitution de résultats ». Revue de Sociologie Visuelle : Territoires visuels, vol. 1, n°1 , p. 19-22. ISBN : 978-2-923690-6-2.

La première photo, L’homme aux vêtements usés et élimés, se veut une amorce pour un article traitant des attitudes corporelles et du port de certains vêtements liées à l’appartenance à une classe sociale donnée. Si on part de l’idée que les attitudes corporelles se construisent, dans les quartiers défavorisés, à partir de corps fatigués, de vêtements usés et élimés, la démarche lente et les itinéraires discrets, en contraste avec l’environnement global mobile, c’est peut-être qu’elles traduisent une certaine inertie, un certain abandon au sort. À l’inverse, les corps jeunes et énergiques, vêtus à la dernière mode et à la démarche affirmée, sont en contraste, dans les sociétés occidentales, avec une large part de la population vieillissante.

La seconde photo, La jeune femme chic, poursuit cette analyse des attitudes corporelles. En l’examinant attentivement, on constate, à l’arrière- plan, un homme adossé à un mur qui est aussi un habitué de la banque alimentaire du quartier et des services de soutien aux personnes démunies. À remarquer aussi le contraste de ses vêtements par rapport à ceux de la jeune femme qui passe tout juste devant lui, tout comme l’attitude corporelle de la jeune femme par rapport à celle de l’homme.

Concrètement, la géométrie sociale se construit toujours à partir de contrastes, de là la nécessité de tout un travail de typification des attitudes corporelles qui reste encore à faire. En ce sens, ces deux photos traduisent deux phénomènes : (i) la façon de se vêtir de certaines personnes démunies et la posture corporelle, parfois prostrée, des gens défavorisés — certes, tous les gens défavorisés n’ont pas une posture corporelle prostrée ni ne porte tous des vêtements défraîchis — ; (ii) la façon dont les attitudes corporelles des uns et des autres entrent en contraste, tracent des parcours à la fois visuels et sociaux, délimitent un territoire visuel et social où se vit la mixité entre gens nantis et démunis.

Faut-il ici souligner que l’allure même d’un vêtement signale l’appartenance à un groupe social ou à une classe sociale donnée. En fait, et c’est là où les choses deviennent intéressantes, c’est que si on s’y mettait et qu’on analysait les vêtements que porte la jeune femme, ainsi que le type de valise qu’elle tire, la posture de son corps et la position de sa tête, ceux-ci pourraient nous en dire beaucoup sur sa position personnelle sur le gradient social, tout comme si on procédait à la même analyse pour l’homme à l’arrière-plan ; il y a ici toute une sociologie des postures du corps et de la mode à convoquer.

En fait, en partant de plusieurs photos, il devient dès lors possible de restituer de véritables résultats en autant que l’on fasse une fidèle description de ce qui constitue la représentation de chacune des photos, que l’on en identifie correctement les contextes respectifs, et que l’on puisse parvenir à une interprétation somme toute relativement fiable.

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Gymnase urbain

© Pierre Fraser, 2018

À l’inverse des pratiques sportives en milieu fermé, le sport dans les espaces ouverts offre certains avantages pour de nombreuses personnes et cela se reflète dans le milieu urbain où de plus en plus de personnes pratiquent un sport dans des espaces ouverts plutôt que dans des installations spécifiques.

Sur le plan social, alors que le gymnase ne permet de s’afficher qu’à un nombre restreint de personnes, souvent les mêmes, le milieu urbain permet de s’affranchir de cette contrainte. Tant mieux si l’on croise des gens que l’on connait, car eux aussi se reconnaîtront dans cette pratique.

© Pierre Fraser, 2018

À partir de nos vêtements et de nos accessoires, ils pourront juger de ce que l’on est prêt à investir pour assurer sa santé. Votre vélo a-t-il un cadre et des roues de fibre de carbone ? Combien coûte-t-il ? Toutes ces questions dépassent le strict cadre de la santé et renvoient à l’individu en société.

© Pierre Fraser (sociologue, PhD) / texte et photos

Sentir la fraîcheur du soleil levant, celle de la chaleur du soleil du midi, ou celle plus fraîche du soleil couchant, ne se compare en rien au fait d’être enfermé entre quatre murs pour pratiquer son activité physique préférée.

Autrement, transpirer sous un soleil ardent, haleter alors que l’on croise un congénère qui, lui aussi, transpire et halète autant, c’est aussi montrer que l’effort requis pour être en santé est pris au sérieux. Mieux encore, courir alors qu’il neige ou qu’il pleut, c’est non seulement montrer son engagement envers sa propre santé, mais c’est aussi montrer que l’on est prêt à affronter l’adversité sous toutes ses formes.

L’activité sportive en milieu urbain n’est pas seulement qu’activité sportive, mais aussi activité sociale inscrite dans un espace et un territoire. Ici, tout devient repère visuel. Voir l’horizon devant soi et ne pas avoir les limites imposées par quatre murs, s’imprégner de la présence des arbres alors que l’on roule à vélo, voir le gris de l’asphalte sur lequel on court, apprécier l’impression d’infini d’un ciel bleu azur tout en pratiquant son activité préférée ne peut en rien se comparer à un gymnase.

© Pierre Fraser, 2018

Sirène aux abords du fleuve Saint-Laurent

Sirène aux abords du fleuve Saint-Laurent

Art en contexte, sculpture intégrée dans son milieu, immensité du fleuve Saint-Laurent, l’Île-aux-coudres réserve des joyaux visuels à qui sait les repérer.

Cette sirène, à gauche de la photo, installée sur un terrain privé longeant le Chemin de la Bourroche, invite à plonger dans l’immensité du fleuve. Photo prise le 30 mai 2016, en début de soirée après un orage, le soleil transperce les nuages, découpe en contrejour la silhouette de la sirène, augmentant d’autant l’effet esthétique de cette composition photographique.

© Pierre Fraser, 2016 / texte et photo

© Pierre Fraser, 2016